La Délicate
by Catulle Mendès (1841-1909)
J’ai conduit ma mie au village,
Parmi les bois et les prés verts;
Au cri des vagues sur la plage
Nous avons répondu des vers.
Nous avons gravi la colline
Le long des buissons épineux,
Et sa robe de mousseline,
En passant, s’accrochait aux nœuds.
Sa bouche riait sur ma bouche
En devisant près du ruisseau;
Mais son pied fait pour la babouche
Tressaillait au contact de l’eau.
Puis ce miroir, qui se rebelle,
Éraillé par les cailloux blonds,
Ne la faisait pas assez belle,
Et ma muse m’a dit: Allons!
A cheval sur un beau nuage,
Rose flocon, houppe de lait,
J’ai conduit ma.mie au rivage
Où l’idéal étincelait.
Là, parmi les Édens sans voiles,
Elle cueillait d’un doigt mignon
Ces fleurs d’or que l’on nomme étoiles
Et les plantait dans son chignon!
Mais lasse, un jour, dans retendue
De poursuivre un follet trompeur,
A mon cou doucement pendue,
Tremblante, elle m’a dit: J’ai peur!
Alors, à la blonde, volage:
O muse blonde, que veux-tu?
Tu n’aimes pas le gai village,
Son église au clocher pointu;
Les grillons chantant sous le seigle,
Les bergers dormant sous les houx,
Et tu n’as pas les yeux d’un aigle
Pour braver le grandi soleil roux!
Veux-tu, pleurant sur une tombe,
Habiller tes chansons de deuil?
Hélas! une larme qui tombe
Rougirait le coin de ton œil.
En fière amazone équipée,
Aimes-tu les combats sanglants?
La sueur rouge de l’épée
Déshonorerait tes pieds blancs.
Et la belle a dit: Ce que j’aime?
Je préfère aux ombres du soir,
Aux senteurs de la rose même,
L’ombre et le.s senteurs du boudoir!
Qu’autour de moi tout s’effémine!
A travers la création
J’ai des épouvantes d’hermine,
De sensitive et d’alcyon.
Mes yeux épris d’ombres choisies
Craignent le noir des vastes nuits;
Le jour aux rouges frénésies
Offense mes tendres ennuis.
Il faut aux lieux où je repose,
Si pâle sous des rideaux bruns,
Que l’on répande un encens rose,
Qu’on m’éclaire avec des parfums.
Je veux, dans la pâte d’amande
Parfumant mes ongles, avoir
Le divan sombre où je m’étende,
Cygne endormi sur un flot noir.
A moi les robes de guipure,
Où, s’harmoniant à mon teint,
Frissonne sur îa trame pure
La clarté du miroir éteint,
Et pour ma toilette éternelle,
Lorsque viendra le jour fatal,
Je veux un linceul de dentelle,
Dans une bière de santal!
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